Les classes de 6è ! J’avais l’impression que, de plus en plus, l’on enlevait ces enfants du berceau et les déposait là. Tous plus petits les uns que les autres. 1m 20 les bras levés devaient-ils mesurer. Les enfants d’aujourd’hui sont pressés, à mon sens, parce que les parents leur ont appris à tout faire vite. Le temps d’être un enfant, ils ont dû être des élèves enfants. Le temps d’être des élèves, ils ont été des collégiens enfants. Le temps d’être des collégiens, ils ont été des lycéens enfants. Et j’en passe. Et quand ils deviennent des parents enfants, on en appelle au bon Dieu ! Quelle ironie !
Certes, il n’y a pas d’âge pour donner de la valeur à ces années ; quand à 8 ans, votre enfant est dans une classe où il a plus de 12 matières. Oui, il est intelligent, mais le temps des récréations qu’il perd est précieux ! Aujourd’hui les parents ne veulent qu’une seule chose, avoir des supers génies. Le plus déprimant, c’est quand le parent de l’enfant ‘’lambda ‘’dit à son fils : « Tu n’as pas honte, le fils du voisin, il a 7 ans il est en 6è ; toi, tu es vieux, tu as 12 ans, tu es seulement en 5è ». Pardon, mais votre enfant n’a aucun retard, c’est le fils de votre voisin qui est en avance, votre fils n’a aucun retard, il est dans le temps. Il faut qu’on arrête de classer nos enfants dans des cases, que le système éducatif arrête de les mettre en rang, dans une bataille intellectuelle universelle, pendant que chacun dispose d’une intelligence individuelle ! Les enfants sont tous intelligents, mais on enferme leur intelligence pour leur enseigner l’intelligence générale.
Et en fait, y a-t-il une heure parfaite pour se présenter au succès ? Le succès est la seule course où on ne se donne pas rendez-vous. L’arrivée seule compte, pas le temps mis.
J’étais là, face à une trentaine de petits hommes qui me regardaient les yeux grands ouverts. L’un des élèves dormait, d’autres jouaient sous la table. Je n’avais pas la force de les brusquer,
c’était l’heure de la sieste à leur âge, l’heure de faire des bêtises. Il me fallut du temps pour moi-même trouver la bonne approche. Finalement, nous avons fini par parler de la propreté et de l’hygiène. Je m’évertuais encore à expliquer aux enfants l’importance de se laver les mains avant et après chaque repas.
– Mais maîtresse, euh ! pardon madame, pourquoi se laver les mains après avoir mangé quand on mange à la fourchette ?
Me questionna l’un d’entre eux. Je ne savais pas quoi répondre. La question était très pertinente. Moi-même, je ne me lavais pas les mains après avoir mangé avec mes couverts. En vrai, qui le fait souvent ?
– Euh ! parce qu’en fait, il y a des microbes sur…
Je balbutiais encore quand le gardien de l’école entra dans la classe, paniqué. Il me souffla des mots à l’oreille. Je dû écourter mon cours et m’en allai en courant. Dans le parking du lycée, Victoire la maîtresse de Gabriel faisait un scandale. Mal vêtue comme à son habitude, elle criait à qui voulait bien l’écouter que moi j’avais volé la voiture de son mari. Elle était là pour récupérer la voiture. Je ne réalisais pas le toupet qu’elle avait eu de débarquer sur mon lieu de travail. Carole, qui avait vu le vacarme, avait vite fait de me rejoindre. J’étais là, adossée à ma voiture. Je n’avais pas la force de parler, ni même de supplier cette folle de se taire. Je la regardais se donner en spectacle. Elle me faisait pitié. L’ancien « moi », sans foi, sans enfant dans le ventre, lui aurait fait avaler sa langue de vipère. Mais, j’étais au-dessus de cela. C’est Carole qui prit ma palabre comme la sienne.
– Tu m’arrêtes ce spectacle ridicule tout de suite, menaça-t-elle en se plaçant devant Victoire.
– Je veux ma voiture, la voiture que mon mari a payée de son argent, cria Victoire, hystérique. Les collègues et les élèves curieux regardaient la scène en murmurant.
– Ton mari ? Connais-tu la route de la mairie toi ? C’est Maeva qui accepte tes idioties. Si cela ne tenait qu’à moi, tu serais morte depuis le début. Tu connais le prix de tes dessous ? À plus forte raison, celui d’une voiture ?
– Tu ne me fais pas peur, vieille peau !Carole n’avait pas attendu plus pour lui administrer une violente paire de gifle. Victoire voulut se défendre, c’est à ce moment que je décidai d’intervenir.
– Carole, arrête ! Donne-lui les clés, ordonnais-je à mon amie, en la tenant par le bras.
– Quoi ? Tu ne vas pas te laisser faire ! s’indigna Carole
.- Ne sois pas méchante Carole, regarde-la, toi-même, elle fait tellement peine à voir. Si c’est cette voiture qu’elle veut, laisse-la- lui.
Carole s’en alla en courant, chercher les clés dans son sac. Elle revint quelques secondes plus tard, aidée par le gardien, elle vida la voiture de mes affaires et jeta les clés sur le visage de Victoire. Toute l’école nous regardait. Je ressentais une profonde gêne, j’avais envie de pleurer, mais je ne laissais rien transparaître, une vraie femme sait masquer ses émotions et ne pleure jamais devant l’autre femme qui plus est devant un pantin comme Victoire.
– Viens, allons-nous-en, me somma Carole en me prenant par le bras pour m’emmener loin des regards. Nous allâmes à la cafétéria. Les regards nous avaient suivis jusque-là.
Nous prîmes place à une des tables. J’avais envie de craquer et de fondre en larmes. Mais, je gardais les dents serrées et je regardais le vide.
– Si tu veux pleurer, pleure, c’est ton droit, c’est légitime. Tu n’as pas besoin d’être forte, me rassura mon amie en me caressant la main. Le contact de sa peau sur la mienne fut comme un déclencheur d’émotion. J’explosai en sanglots sans pouvoir me retenir.
– Pleure ma puce, laisse-toi aller, tu as raison et tu en as besoin. Ce que tu vis depuis tous ces mois n’est pas chose facile, je sais. Tu aimes encore ce salaud, et on n’oublie pas 6 ans de sa vie aussi simplement. Pleure mon amie, me consola Carole en me prenant dans ses bras.
– Allez maintenant, il faut que tu rentres. J’ai encore cours, mais je veux bien t’accompagner en taxi. Ou on appelle ton père pour qu’il passe te prendre ? proposa-t-elle.
– Non, n’appelle personne et ne te dérange pas. Je vais y aller en taxi toute seule. S’il te plait, excuse-toi pour moi auprès de la direction, sollicitais-je à mon amie en me relevant de mon siège.
– Tu es sûre de pouvoir retourner seule ? S’inquiéta-t-elle.
– J’ai encore mes neurones en place Carole ! La rassurai-je en souriant faux.
– Ok ma puce. Je t’appelle plus tard. Tu es vraiment trop gentille toi ! Me complimenta-t-elle en m’embrassant sur la joue avant de partir.
Je marchai lentement, m’en allant à la recherche d’un taxi. Les taxis à Abidjan, on en trouve toujours. Avant, quand on empruntait un taxi, on laissait le compteur en marche tout au long de la course, les taxis compteurs. Je ne me souviens pas de ce qui changea, mais maintenant on négocie avec le chauffeur afin de réduire le coût de la course, selon la destination. Négocier ? On ne négocie pas aux heures de pointe, car les chauffeurs étaient rois. Je fis s’arrêter un des taxis négociateurs qui passait par là. Je lui proposai 2500, il me demanda d’ajouter 500francs, n’ayant pas envie de m’attarder sur la route, j’acceptai. A l’arrière du taxi, je me sentais vraiment désespérée.
Je repensai à la veille de mon mariage d’avec Gabriel. J’étais au domicile de mes parents, je me sentais prête à franchir le pas. J’avais même hâte. Soudain, un fol à lier dehors créait le vacarme en klaxonnant bruyamment. Mon père, ma mère, les voisins, et moi-même, tout le monde était sorti voir ce qui se passait. C’est là qu’on découvrit mon Gabriel fou amoureux, qui était venu m’apporter mon cadeau de mariage. Une superbe voiture que j’avais gardé pendant 6 ans. Il m’en avait offert d’autres au fil des années. Mais, je conduisais celle-là avec plus d’amour. Voilà comment s’achèvent mes souvenirs les plus beaux.