19 Juin 2018, l’immersion meurtrière d’Abidjan

Mardi 19 juin 2018; Abidjan se souviendra de cette date macabre. Journée noire, journée de deuil, journée de pertes, journée de merde pour les habitants de Cocody. Des beaux quartiers de la Riviera 3 en passant par les quartiers précaires environnants sans oublier la Riviera palmeraie, la pluie aura réussit à plonger nos vies  sous les eaux. Pour une fois, je n’étais pas qu’une simple spectatrice du désastre, j’étais l’une des victimes quoique surement l’une des plus chanceuses de ce gâchis pluviométrique.

Du haut de la maison, ma famille et moi avons regardé le niveau d’eau monter, monter,  jusque immerger nos voitures. Les extérieurs de la maison étaient des bassins d’eaux qui  se remplissaient à vue d’œil. Le premier réflexe fut de couper la source d’alimentation d’électricité. Plongés dans le noir à 5 heures du matin, nous regardions, abrités sous des parapluies nos biens mourir.

Très vite, il fallut descendre et enlever ce que nous pouvions, car l’eau commençait à pénétrer à l’intérieur de la maison. C’était une journée difficile. C’était un jour bien trop sombre. Que faire ? Nous ne pouvions qu’attendre que le soleil apparaisse et prier que la pluie s’arrête.

De notre tour de sauvetage nous regardions l’eau emporter les biens. Une table là, un congélateur ici, des vagues violentes là bas. La pluie semblait avoir fait des dégâts mais à quel point?  Jamais nous aurions pu l’imaginer.

Une fois l’eau descendue à notre niveau, mes sœurs et moi décidons d’aller voir le reste du quartier. Devant notre maison, la boue, les déchets, les poubelles cassées. Plus nous avançons, plus le spectacle est triste. Dans l’eau je perds mes chaussures. Je continue donc les pieds nus,pas le temps d’avoir peur, l’heure est grave. Sur notre terrain de football, un cimetière de voitures détruites. Le mur d’une maison est totalement en morceau. L’eau est encore haute par endroit. Les visages sont inquiets et tristes.

Soudain nous avons écho de la situation d’Allabra réconciliation, le quartier qui nous fait face. Mort d’hommes ! Des femmes sont mortes dans cette inondation :(.

Plus je découvrais mon quartier plus j’avais mal. La désolation se lisait sur tous les visages. Des personnes ont croisé la mort dans cette inondation et grâce à la solidarité ont pu être sauvées de justesse.

Ce petit garçon qui regardait sa maison détruite, ses vêtements dans l’eau et qui interrogeait sa mère sur le pourquoi. Cette femme, qui avec rage, colère et tristesse jetait tout ce que l’eau avait détruit, ses meubles, ses livres, ses souvenirs. Ce vieil homme dont la maison n’était plus qu’une pâle copie de ce qu’elle fut. Plus de toit, plus de clôture, rien n’avait résisté à l’eau. D’ailleurs elle stagnait encore aux milieux de ses œuvres de destructions. Ce homme à la vie déjà très marquée qui venait de perdre ses seuls bien matériels, ses voitures, superposées l’une sur l’autre. Ces maisons désormais nues, sans portails, et cette  boue, cette satanée boue dans laquelle nos empruntes de pas s’écrivent avec douleur et lourdeur !

Dans le quartier ce jour là, yako était le mot à l’honneur. Tous dans le même chaos nous nous disions mutuellement courage voisin.

Aujourd’hui Allabra n’est que l’ombre d’elle même. Il n y a plus rien. J’ai passé 23 ans de ma vie dans ce quartier, je le connais par cœur et je ne l’ai jamais vu si misérable. Mon choc a été encore plus grand quand j’ai vu le quartier en face de nous, qui aurait cru que l’eau pouvait faire tant de dégâts ?

Des familles entières sont à la rue. Tout est perdu pour tellement de personnes ! Et quand je vois sur les réseaux les images des autres zones sinistrées, j’ai le cœur qui saigne. Aujourd’hui je comprends qu’il y a une grosse différence entre le voir et le vivre.

Cette situation chaotique a soulevé un vent de solidarité,témoin que l’ivoirien à encore en lui de l’humanité. Les bénévoles, les centres de récupérations de dons tout est mis en place pour alléger ne serais ce qu’un peu les soucis des sinistrés.

Deux jours plus tard, je réalise encore qu’a moitié la dureté de ce vécu que personne n’aurait pu imaginer.  J’ai les yeux qui se mouillent de larmes rien qu’en revoyant l’image de l’eau monter. J’aurai pu mourir dans ce déluge, j’aurai pu avoir moins de chance si la grâce ne m’avait pas accompagné.

Aujourd’hui je me demande que faire ? Je n’ai pas la force d’aider les sinistrés. A l’heure où j’écris je me sens comme traumatisée. Pourtant mon esprit altruiste est en éveil mais mon cœur et mon corps sont trop faibles pour agir. Deux jours après je cherche les coupables de ce drame. Qui sont-ils ? Les promoteurs immobiliers, les ministères en charge ? Les comportements insalubres de nous citoyens ? Qui sont les coupables ? Ils sont légions. Mais l’heure est elle aux procès après la mort ?

Une chose est certaine nous ne supporterons pas une pluie de plus, il faut donc dès maintenant trouver des solutions pour ne plus que cela se reproduise.

Mardi, j’ai entendu  des sirènes chanter en même temps, pompiers, ambulances, morgues… J’ai vu un jeune homme regarder sa mère mourir, ciel , quel traumatisme ! J’admire les pompiers et tous les bénévoles qui ont aidé à secourir les sinistrés. Leur courage est sans égal… Il n’y a pas mots.

Mardi 19 juin 2018, Journée noire, journée de deuil, journée de pertes, journée de merde pour Abidjan. Plus jamais ça. S’il est vrai que l’eau a prouvé sa force, il convient à nous citoyens, à nous l’Etat, d’œuvrer dès maintenant pour trouver des solutions pour ne plus jamais qu’un drame pareil s’abatte sur notre pays. Dans ce genre de situation, l’émergence porte ton son sens. On dénombre 20 morts, mais nous savons pertinemment que les morts silencieux sont nombreux. Le bilan de ce sinistre est bien trop lourd en pertes humaines, matériels et traumatises psychologiques.

Aussi il est capital pour nous citoyens, d’apprendre les bons gestes en cas d’inondation. Formons nous, lisons, cherchons car savoir pour nous aider à nous sauver et à sauver des vies.

Pour ma part, je pense ce week-end, avoir la force et moral pour aller apporter mon aide aux bénévoles. Pourrais je contenir mes larmes ? Pleurer n’a jamais fait de mal. Paix à l’âme de toutes ses personnes disparues dans les eaux liées aux inondations en Côte d’Ivoire.

 

                                   

Partager cet article
Share on facebook
Facebook
Share on twitter
Twitter
Share on linkedin
LinkedIn
Share on whatsapp
WhatsApp
Share on email
Email